Portrait de famille, une histoire des Atrides
Texte et mise en scène Jean-François Sivadier
Propos recueillis par Mélanie Drouère pour le Printemps des Comédiens 2024
Jean-François Sivadier, vous avez écrit et mis en scène, avec une partie de la promotion 2023 du Conservatoire National Supérieur de Paris, Portrait de famille, une nouvelle version de l'histoire des Atrides. Comment cette idée est-elle née ?
Jean-François Sivadier : En 2015, dans le cadre de Paroles d'acteurs avec l'Adami, j'avais présenté au Festival d'Automne à Paris un montage de textes (Euripide, Sophocle, Eschyle, Sénèque...) autour des Atrides. Quand il a été question que je mette en scène l’un des spectacles de sortie de la promotion 2023 du CNSAD, j'ai repensé à ce montage et j'ai décidé d'écrire moi-même. Cette démarche me permettait de trouver une unité dans l'écriture, d'inventer pour chaque comédien.ne une véritable partition et de cerner un peu plus précisément les sujets que j'avais envie d'aborder. En l'occurrence, dans Portrait de famille, tout tourne autour de la guerre. La guerre entre les peuples, entre les hommes et les Dieux, entre les membres de la famille. La mythologie grecque est une matière inépuisable et l'occasion d'un théâtre de l'excès, de la démesure, de la cruauté, où la comédie rejoint souvent la tragédie. Dans ces histoires où se confondent les affaires de l'Etat et les complots de famille, les intérêts du peuple et l'intérêt personnel, la persécution gratuite des hommes par les Dieux, la force des auteurs grecs est de savoir, au cœur de la situation la plus tragique, faire un pas de côté ironique pour faire respirer le spectateur. On a ici toujours le choix de pleurer au destin tragique des protagonistes ou de rire devant la trivialité des enjeux qui ont mené à la catastrophe...
Vous êtes un metteur en scène qui travaillez beaucoup « au plateau », physiquement, parmi les actrices et acteurs. Avez-vous réorienté la direction d’acteurs avec ces comédiens alors encore « apprentis » ? Et quelle est votre approche de la transmission ?
Je travaille de la même façon lors d'une création et quand je donne un stage dans une école. C'est-à-dire que je cherche de la même façon. Je ne donne pas de leçons mais des outils pour que les jeunes comédien.nes se sentent, en entrant sur le plateau, non pas comme de simples exécutant.es, mais comme des artistes, conscient.es de leur responsabilité. Les outils pour trouver leur liberté face aux contraintes de la mise en scène, trouver leur liberté dans le texte et non pas à côté. Leur redire que tout vient non pas de soi mais de l'autre, de l'extérieur, de l'auteur.e, du texte, du partenaire. Et puis que le plaisir n'est pas une fin en soi mais un outil indispensable pour travailler. Enfin, surtout, je cherche à me laisser transformer par leur appétit, leurs rêves, leur imagination, leurs interrogations. On sait bien que lorsqu'on se retrouve devant des jeunes comédien.nes, on est rapidement renvoyé à ses propres questions...
Vous allez d’ailleurs animer un stage dans le cadre de CAMPUS, la formation élaborée par Cyclorama et le Printemps des Comédiens. Quelle est selon vous la différence entre ce que les comédien.nes apprennent à l’école et ce que leur apporte ce type de workshops ?
L'école peut être, comme disait Vitez « le plus beau théâtre du monde », un endroit idéal pour mûrir, pour prendre du temps, pour en perdre, pour essayer de définir notre véritable désir de théâtre, pour se constituer une famille, rencontrer des camarades avec lesquel.les on pourra plus tard faire un bout de chemin. Pendant trois ans, les élèves ont suivi des cours, rencontré des metteurs en scène lors d'ateliers dans lesquels elles et ils avaient le loisir d'essayer, de se perdre sans obligation de résultat. Le spectacle de sortie est l'occasion de se présenter au public, aux professionnel.les susceptibles de les engager. L'enjeu est donc particulier. Mettre en scène un spectacle de sortie, c'est aussi tenir compte de cet enjeu : l'entrée dans la vie professionnelle. Dans le cadre d'un stage, comme celui que je vais faire avec Cyclorama, on rencontre plutôt des comédien.nes déjà professionnel.les qui viennent se ressourcer pendant deux semaines, refaire l'expérience de monter sur un plateau sans la nécessité d'obtenir un résultat. Ce sont des endroits très riches et beaucoup trop rares...
Comment cette jeune génération s’approprie-t-elle une mythologie si ancienne ?
Tous les thèmes abordés par la mythologie grecque ont une résonance immédiate avec le monde contemporain. On peut même dire avec toutes les époques, comme c'est le cas pour Shakespeare. Les notions de sacrifice, de pouvoir, de vengeance, les rapports de famille, la haine, la jalousie, le désir traversent ces histoires qui frappent directement l'inconscient tout en restant aussi simples que des contes pour enfant. En travaillant sur Portrait de famille, nous avons voulu éviter les codes de la grand-messe tragique, de la contemplation, de la plainte, pour montrer au contraire comment les idées ont un corps et comment le corps peut être traversé totalement par une idée, enfin, comment la confrontation des idées inclut systématiquement un troisième interlocuteur qui est le public. Nous avons cherché à exposer clairement les questions aux spectateur.ices, à montrer que, même au comble de la douleur, les protagonistes gardent la capacité, de penser, d'argumenter, de défendre leur point de vue comme lorsque deux sœurs, Electre et Chrysothémis, s'affrontent autour de la question : faut-il combattre frontalement un pouvoir tyrannique jusqu'à risquer sa propre vie ou feindre la soumission et résister, par la ruse, en continuant à vivre ?
Quelles sont les défis que vous avez rencontrés en élaborant Portrait de famille ?
Le plus grand défi, c'était d'écrire pour quatorze personnes, de construire une distribution la plus équitable possible, de trouver comment cette distribution allait permettre d’exposer chaque comédien.ne pleinement sur le plateau. De chercher comment la mise en scène allait pouvoir les mettre au centre, ensemble et séparément. Je voulais qu'on puisse voir leurs différences et leurs singularités. La forme du texte a donc dû répondre aux impératifs imposés par ce désir d'équité, tout en maintenant une cohérence dramaturgique. Paradoxalement, ces contraintes nous ont laissé beaucoup de liberté et le travail, contaminé par leur énorme appétit, a été simple et joyeux. Les jeunes comédien.nes ont généreusement pris à bras-le-corps le plateau et le texte comme des endroits de liberté...
Vous-même, qu'est-ce qui vous nourrit ? Êtes-vous un grand spectateur de théâtre ?
Je vais beaucoup au théâtre, à l'opéra. Je suis très curieux de la manière dont les metteurs en scène abordent le plateau. La manière dont ils répondent au défi que pose cette question de la mise en scène. Je peux me sentir très proche de formes qui sont à l'opposé de mon travail. Je suis aussi un très bon spectateur pour la danse contemporaine qui d'ailleurs flirte, depuis Pina Bausch, de plus en plus avec le théâtre. Il m'est arrivé d'avoir l'intuition d'un spectacle de théâtre en voyant cinq minutes d'un ballet contemporain. Je regarde aussi beaucoup les comédien.nes et leur manière d'aborder la question du jeu, de l'interprétation, de gérer leurs peurs, leurs difficultés et leur plaisir. J'apprends énormément en dirigeant, j'ai beaucoup appris dans ce travail au CNSAD...
Présentation en avant-premières au Théâtre du Conservatoire par la Cie Italienne avec Orchestre en partenariat avec le CNSAD-PSL du 16 au 20 décembre 2023.
Ce spectacle est créé au Printemps des Comédiens de Montpellier du 31 mai au 2 juin 2024.
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