The History of Korean Western Theatre - JAHA KOO/CAMPO [Teaser]

Première en France de l'intégrale The Hamartia Trilogy.

Jaha Koo, quelle est l’origine de cette trilogie ?

La trilogie Hamartia se concentre sur la façon dont le passé collectif affecte tragiquement nos vies d’aujourd’hui. Le terme hamartia provient de la tragédie grecque : il signifie à l’origine le défaut de caractère du protagoniste d’une tragédie qui va le conduire à la chute. Depuis que j’habite en Europe, j’ai commencé à réfléchir à mon identité de non-Européen, d’étranger. Je me suis senti comme une sorte d’exilé culturel, fuyant la société conservatrice et capitaliste des Sud-Coréens. Cela ne veut pas dire que mon histoire soit plus spéciale, unique ou spectaculaire qu’une autre. J’ai simplement pu voir ma ville natale en tant qu’observateur de l’extérieur de la Corée du Sud, et j’ai pu observer des problèmes communs ou des difficultés similaires dans d’autres pays. J’ai alors commencé des recherches sur mon environnement qui croisent divers aspects internationaux, politiques, historiques et culturels. C’est ainsi qu’est née cette trilogie.

Pourquoi avoir choisi un focus sur l’histoire du théâtre pour le dernier volet ?

The History of Korean Western Theatre veut poser la question à la fois la plus élémentaire et essentielle de la trilogie. Cela fait maintenant dix ans que je vis en Europe, en pensant sans cesse à la cause de cet exil. Initialement, tout est lié au fait qu’il me semblait presque impossible de créer les pièces que je voulais dans le champ du théâtre coréen. Pendant ma scolarité en Corée, j’avais composé une chanson intitulée Où est mon confident ? qui signifiait que j’avais l’impression que j’avais du mal à trouver des amis, collègues ou enseignants pour parler de mon travail. Le milieu lui-même étant très conventionnel, je me sentais contraint et en quelque sorte frustré dans mon envie de créer de nouvelles choses, les miennes. Depuis que je suis parti, je retourne en Corée de temps à autre, mais malheureusement rien n’a changé à ce sujet. Le milieu demeure très limité, autoritaire et ne s’ouvre pas à la diversité. À travers cette pièce, j’essaye de porter un regard sur le caractère statique de ce champ théâtral, lequel reflète la société coréenne dans son entier, en traitant du lien entre l’histoire moderne de la Corée et l’histoire du théâtre. Ce dernier volet définit ainsi rétrospectivement l’axe principal de la trilogie.

D’où vient, selon vous et d’après vos recherches, cette influence de l’art dramatique japonais et occidental sur la création théâtrale sud-coréenne que vous décrivez ?

Pour penser l’histoire du théâtre occidental en Corée, il convient d’abord de connaitre le processus de modernisation de la Corée. Pendant la période de modernisation et d’occidentalisation, la Corée était sous domination coloniale japonaise. Jusqu’en 1945, alors que la colonisation se terminait, l’influence de la civilisation occidentale en Corée passait par le Japon. Parallèlement à l’américanisation après la guerre de Corée en 1950, les traces de la colonisation japonaise se sont profondément enracinées dans la société coréenne. En outre, la modernisation coréenne était menée par la classe dirigeante de la société, et non par des citoyens unis dans un élan révolutionnaire. En raison de ce processus, la classe dirigeante traditionnelle a perduré jusqu’à présent. Les systèmes conventionnels de société, tels le confucianisme et le système féodal, ont disparu avec la modernité matérialiste.

Quelles sont, selon vous, les conséquences de cette influence ?

Si vous demandiez aux gens en Corée ce qu’est le théâtre, la plupart penserait immédiatement au théâtre occidental. Il n’existe plus ni jeu ni culture traditionnelle dans la vie ordinaire des gens, plutôt considérés comme des reliques de musée. Tandis que tous les pays en développement estimaient nécessaire de se moderniser ou de s’occidentaliser, la Corée ne faisait pas exception. D’un point de vue postcolonial, la société coréenne a beaucoup de problèmes historiques non résolus. Plus précisément, le néolibéralisme fonctionne plus efficacement en Corée que dans d’autres pays, sur la base d’un système social qui agit de manière féodale. Par conséquent, de nombreux problèmes politiques, économiques et culturels découlent du passé, et d’une histoire prémoderne et moderne ratée.

Comment situez-vous votre propre travail, dans ces entrelacs des cultures orientale et occidentale qui font toutes deux parties de votre parcours ?

Selon mon expérience en Europe, les gens ont souvent mal compris que j’avais vécu dans une culture très asiatique, que je connaissais par exemple très bien le Zen, le Yin-Yang, le Qikong ou le thé vert. Mais, de la même manière, j’ai souvent surpris les gens qui découvraient que j’avais eu un style de vie très américain. Cela peut arriver dans l’autre sens, pour un occidental situé en Corée. L’essentiel est que je me définisse comme un artiste international qui pense continuellement à un public international. En particulier dans cette trilogie, je réfléchis à l’homogénéité culturelle.

Quelles sont vos propres références artistiques (théâtrales, cinématographiques, musicales, littéraires, picturales, etc.) ?

En tant que créateur de théâtre, je compose avec divers multimédias, en particulier ma propre musique, mais aussi la vidéo, le texte et les objets. J’essaie d’ouvrir le spectre au maximum, indépendamment du genre, du format ou du style. Les gens pensent que je lis beaucoup les journaux, ce qui est vrai. Mais, par exemple, je trouve également mon inspiration en consultant de nombreuses archives nationales et en regardant des films coréens des années 1970 pour voir des images anciennes de Séoul. Je regarde même des clips Youtube de défilés de mode comme Gucci ou Balenciaga.

Qu’est-ce qui vous plaît et vous anime dans la forme du solo ?

Depuis ma première création théâtrale, je suis résolu à faire du théâtre indépendant en solo. Quand j’étudiais le théâtre à l’école d’art, je n’aimais pas l’idée que les gens considèrent le théâtre exclusivement comme une œuvre de groupe, ne connaissant que les compagnies de théâtre. Je n’appréciais pas vraiment – et c’est toujours le cas – le rôle des metteurs en scène. La plupart de ceux que je connaissais en Corée adoptaient une position de pouvoir absolu et s’avéraient assez misogynes et patriarcaux. Je trouvais que le système de la compagnie de théâtre reproduisait le même type de maladie chronique qui touchait la société coréenne dans son entier. J’ai donc naturellement essayé de devenir créateur de théâtre en créant mes propres pièces et en me produisant moi-même.

Combien de temps a duré le processus de création de la trilogie ?

Environ six ans. J’ai passé environ deux ans pour chaque pièce, un an pour la recherche et la suivante pour la production. Cela aurait dû prendre beaucoup plus de temps, d’ailleurs, car je fais aussi de la musique, des vidéos et des textes, mais cette création était si nécessaire pour moi qu’elle est devenue ma priorité.

Vous décrivez la Corée d’aujourd’hui comme une société très autoritaire : est-ce la raison pour laquelle vous êtes venu vivre en Europe ? Vous y sentez-vous plus libre ? Quels sont à présent vos liens et votre attachement à votre pays d’origine ?

En premier lieu, je dois dire que l’âge d’or de l’Europe est selon moi terminé depuis longtemps. Je pense depuis longtemps que la société européenne se rapproche désormais du système de la Corée du Sud ou des États-Unis. Tout s’aggrave en crescendo : l’exclusion, les inégalités sociales, l’incitation à la compétition, la dégradation du bien-être, etc. La décision de venir en Europe m’a pris beaucoup de temps. Un plus grand espace de liberté, c’est cela qui m’a décidé : plus d’intimité, de respect, moins d’obligations envers la famille ou le groupe et moins d’interférences dans la réalisation de mes œuvres. Mes liens et mon attachement à mon pays d’origine... Il y a beaucoup de choses difficiles, surtout concernant ma famille. Je veux certes être libéré des obligations familiales, mais ma famille me manque. Cela me rend très triste.

Considérez-vous votre théâtre comme un geste « politique », au sens premier du terme ?

Tout à fait, au sens premier du terme.

 _

Propos recueillis par Mélanie Drouère.

Jaha Koo
Auteur et metteur en scène

Né en 1984, Jaha Koo est un artiste sud-coréen. Sa pratique artistique oscille entre la performance et les œuvres multimédia, qui toutes intègrent sa propre musique, ses vidéos, ses textes et ses installations. Ses performances croisent des éléments politiques, historiques et autobiographiques. Depuis 2014, Jaha Koo travail sur Hamartia Trilogy. Cette trilogie s’intéresse à la manière dont le passé, auquel on ne peut échapper, affecte de manière tragique le présent. La première partie, Lolling and Rolling, a été créée en 2015 au Theater Spektakel lors du festival international de théâtre de Zurich, la seconde, Cuckoo, au Steirischer Herbst Festival (Autriche) en 2017 , et a été jouée en 2019 au Théâtre de la Bastille. La troisième partie de la trilogie, The History of Korean Western Theatre, produite par Campo, a été créée en août 2020 à Hambourg. Gujaha est son pseudonyme comme compositeur de musique. Son mini album le plus récent est Copper & Oyster (en 2015).