Entretien avec David Bursztein
Life is not a picnic
Forme exclusive au Printemps des Comédiens
Propos recueillis par Mélanie Drouère, mars 2024

David Bursztein, d’où vient l’idée du kiosque dans lequel vous jouez Life is not a picnic ?

Je viens d’univers artistiques au sein desquels, notamment avec l’équipe du Théâtre Dromesko, lorsque nous faisions un beau spectacle, nous étions fiers et heureux de rencontrer nos publics. Ca paraît évident, mais, lorsque nous regardons aujourd’hui la majeure partie des dispositifs, et rapports scène / salle dans le spectacle vivant, en réalité, ce n’est plus du tout un réflexe partagé. Le kiosque offre à la fois la possibilité aussi de sortir de ces jalons et un excellent outil d'after, en permettant différentes combinaisons grâce aux trappes entre les deux étages. À l'issue des représentations, le kiosque se transforme en bistrot. Tout le rez-de-chaussée devient un bar et l’étage, une scène pour les musiciens, dans une modularité en phase avec l’esprit de notre orchestre.

Dans quelles circonstances l’avez-vous construit ?

Il date de la pandémie du covid, en 2019, précisément parce que je cherchais un dispositif scénique qui permette d’aller rencontrer le public, du fait des restrictions. C’était enthousiasmant, bouillonnant d’idées : nous avions même prévu de faire un « drive », c'est-à-dire de faire disposer des voitures en arc de cercle pour performer entre les travées, faire venir des circassiens, jouer avec les phares, allumer les radios des voitures, etc. Il y avait aussi l'idée de jouer individuellement avec les spectateurs, proposer aux numéros impairs de danser, autre chose aux pairs... Cela ne s'est jamais fait, mais le kiosque lui-même a gardé ce climat de convivialité et de folie dans sa construction même. Depuis, nous avons fait Villeneuve en scène, les Nuits de Fourvière puis nous sommes partis en tournée. C’est devenu pour nous un prototype d’un certain rapport au public. Aussi, actuellement, nous construisons un second kiosque au Brésil, dans le cadre de partenariats que nous cultivons avec des structures à l'étranger.

Quel est le scénario du spectacle ? Et s’agit-il selon vous d’une forme aussi théâtrale que musicale ?

Pour moi, une chanson, c'est un spectacle à part entière, c'est un univers à part entière, donc, du théâtre, tout autant que de la musique. En revanche, pendant longtemps, il nous a manqué des regards extérieurs, de personnes qui correspondent aux différents univers qui émanent des chansons de ce collectif. C’est ce que nous avons trouvé, et ajouté pour cette forme que nous allons présenter au Printemps des Comédiens, qui est pour nous comme une « première ».

Le scénario suit l’idée d'une journée qui s'écoule, pendant laquelle on traverse un cimetière, on va au cirque puis au bistrot, on marche dans un parc... Une de ces journées classiques, rythmées par autant d’inattendus que d’événements prévus. Et, comme dans la vie, nous mêlons notre fil directeur à des choses qui ne sont pas prévues, en proposant des invitations au plateau. Nous travaillons beaucoup, in situ, une fois le kiosque installé, avec des chorales, des écoles de danse, que nous intégrons à nos spectacles. 

Qui sont les regards extérieurs que vous avez sollicités pour consolider la dramaturgie de cette nouvelle forme ?

Ce projet s’appuyant véritablement sur un duo entre l'orchestre et un chanteur, j'ai proposé à Georges Lavaudant, qui a le talent et le goût de ce genre d’enjeux dramaturgiques, et avec qui nous avions déjà collaboré pour les Nuits de Fourvière, de nous entourer de ses compétences avérées. J’ai également demandé à Sylvie Orcier, Patrick Pineau et Claire Dancoisne, autant de personnes rencontrées dans mon parcours de comédien, de nous offrir leurs regards extérieurs et de partager la mise en scène avec moi. Georges Lavaudant m'aidera à la toute fin à nettoyer de nouveau un peu mon fatras, car, à l’inverse de lui, je suis totalement bordélique ! Son regard sera la touche finale. L'orchestre, quant à lui, existe depuis 30 ans, avec des piliers qui sont là depuis le début et de plus jeunes interprètes qui ont intégré l'équipe en cours de route et constitue un terrain sûr en termes de savoir-faire, sur lequel appuyer ces nouveaux regards. Ces regards contribuent à structurer la dramaturgie de cette pièce, tout en connaissant et donc en respectant ma méthodologie propre : travailler sur le non-reproductible. Par exemple, je n’apprends jamais mon texte... Ce doit être assez paradoxal pour elles et eux, mais ils parviennent à prendre cette donnée en compte : je souhaite que chaque soirée soit différente de la précédente pour que le spectacle se tisse, existe, se fabrique avec le public.

Quels sont les thèmes que traverse Life is not a picnic ?

Alors que la forme est très joyeuse, les fantômes, la mémoire et la mort sont au cœur des thématiques abordées par l'orchestre. En tout cas, c’est ce qui ressort et m'amuse le plus, puisque ces chansons autour de la mort provoquent une forme de peur... J'ai imaginé un monde où les fantômes auraient leurs propres fantômes, à l’appui de chansons très festives pour la plupart...

Le protagoniste principal est habité par de nombreux fantômes, porte quantité de mémoires ; c'est une espèce de personnage schizophrénique qui parle aussi une multitude de langues, gêné en permanence par ces fantômes. Ce personnage prédominant est totalement inventé à partir de l’un de mes ancêtres, qui parlait avec un fort accent flamand, tout le temps dérangé par d'autres personnages. Il est un porte-voix des esprits. Ici, quand il chante, il rit. C'est ce que nous sommes en train de travailler théâtralement avec Patrick Pineau et Sylvie Orcier.

Dans cette forme théâtrale, que nous souhaitons progressivement ponctuer d’une carte qui permette au public de commander à manger, à boire, mais aussi d’urnes-surprises, d’une minute de silence, d’une cérémonie, etc., j’aimerais, à terme, faire participer le public au point qu’il ait l'impression de diriger lui-même ce spectacle. La seconde partie est l'after et, là, tout dépend déjà du rapport avec le public !  

__

© Shelomo Sadak