250 ans d'existence et maintenant ?

Des fontaines, des statues, des rocailles, des broderies de buis et des allées de cyprès en sentinelles. Monsieur de Saint- Priest, intendant du Roi, avait du goût. Et de l’argent. C’était en 1762. C’était le Domaine d’O, lettre unique chargée de faire entendre à elle seule le murmure des eaux partout dans le parc. Deux siècles et demi plus tard, l’eau a (presque) disparu. Mais le Domaine reste ce lieu unique où, sur 20 hectares, semblent se succéder, au gré des pas, des morceaux de Toscane et des fragments de Provence.

Faut-il pourtant se contenter d’admirer ? Se féliciter que Montpellier ait à ses portes cet écrin sans pareil pour flâner, rêver, s’émouvoir dans ses théâtres, et puis en rester là ? C’est que le Domaine en a vécu, des transformations. Si M. de Saint-Priest reconnaitrait probablement sans mal son château et ses jardins, il aurait un haut le corps en voyant, au bout de son allée cavalière, un amphithéâtre de béton, un théâtre habillé de losanges d’Arlequin, des statues de fer, des cendriers en forme de mégots géants parsemant sa pinède et de provisoires et pourtant enracinés algécos. Naturellement, il faut laisser M. de Saint-Priest à son aristocratique haut-le-corps : que le théâtre ait investi ces lieux est un bonheur. Mais sans doute doit-on au Domaine d’O quelques égards où les soucis écologiques et culturels s’entremêlent. Aussi le Printemps des Comédiens a-t-il demandé à une conceptrice de jardins, Cathy Viviès, une étude – cosignée avec son associée Ghylaine Collard – sur ce que pourrait être le Domaine ces prochaines années.

Attention : conceptrice et non paysagiste, horrible mot fourre- tout pour ronds-points municipaux. D’ailleurs Cathy Viviès a un peu le sentiment de poursuivre sa première vie professionnelle : elle était styliste de mode, mariant les couleurs et les formes. Simplement, après des études à l’Ecole du Paysage de Versailles, ce qu’elle faisait hier avec des tissus, elle le fait aujourd’hui avec du végétal : « Ce sont les mêmes codes », dit-elle. La preuve qu’elle les maitrise : elle a été lauréate du Festival des Jardins de Chaumont-sur-Loire en y proposant une relecture jardinière de l’Origine du Monde de Gustave Courbet. De l’art de maitriser la luxuriance sans doute.

Ni refonte, ni retour à l’état d’origine

Et le regard que porte la styliste en jardins sur le Domaine est enthousiaste : « Un outil de travail exceptionnel. Cette pinède que l’on peut voir comme une place de village. Ce Bassin qui est une invitation à tant de formes de spectacles. Ces perspectives depuis le château. ».

Aussi bannit-elle d’entrée le mot de refonte. Pas de bouleversements massifs à prévoir (ni de bouleversements de massifs d’ailleurs). Et encore moins une remise à un état d’origine fantasmé : on ne retrouvera plus les sources qui alimentaient le parc et dont M. de Saint-Priest était si prodigue qu’il fit entièrement vider le grand Bassin pour retrouver l’anneau épiscopal perdu par l’évêque de Montpellier lors d’une fête aquatique. Non : ici et là des aménagements ponctuels. Ouvrir le théâtre Carrière sur la pinède plutôt que sur les algécos, planter des tilleuls supplémentaires au-delà de la grille d’entrée et qui répondraient ainsi à ceux du parvis extérieur, bannir cendriers (et fumeurs du même coup) de la pinède. Imaginer plus loin : une entrée du public qui pourrait se faire au nord comme au sud, voire à l’ouest, à l’aplomb du château. Et plus loin encore : la rue de la Carriérasse, qui dessert les parkings, devenue piétonne, replantée d’arbres. Ce qui induirait un cheminement plus harmonieux, moins de nuisances sonores, moins de minéralité que la canicule parfois rend difficile à supporter... Des petites touches où même M. de Saint-Priest, qui sait, ne trouverait rien à redire.