Re-création de La Mouette au Printemps des Comédiens

Après Nobody, Festen, Opening Night, le metteur en scène, qui a porté à son point de perfection l’hybridation cinéma-théâtre, revient dans le festival montpelliérain avec une Mouette « ensoleillée ». Explication.

 

Cyril Teste, vous avez focalisé il y a deux ans l’attention du monde théâtral, culturel, à la suite de votre collaboration avec Isabelle Adjani pour Opening Night. Aujourd’hui, vous voilà revenu à votre travail « ordinaire », sans star à mettre en scène. Est-ce que vous vivez une sorte « d’après Adjani » ?

Non, non, je le vis normalement. Je n’ai pas d’avant ou d’après. Isabelle, c’est une rencontre humaine et artistique avant tout. Elle a été totalement à l’écoute de notre collectif : on est plutôt des gens simples vous savez, et on se concentre sur notre travail. Il faut juste parfaire son savoir- faire et continuer. C’est une magnifique rencontre. Mais, pour moi, le fleuve continue son chemin.

La Mouette est votre quatrième spectacle en dix ans au Printemps des Comédiens. D’où vient cette fidélité à ce festival ?

Le Printemps, c’est beaucoup de choses. C’est la rencontre avec Jean Varela, qui est devenu un ami au fil du temps. C’est aussi l’histoire que j’ai eue avec Ariel Garcia Valdès et l’Ensad de Montpellier. Il y avait là un écosystème qui s’était mis en place entre l’école, le Printemps et cette fidélité que Jean apporte dans l’accompagnement des émergents. Je me suis retrouvé là-dedans à travailler, à partager des projets et puis soudain, comme à force de creuser on trouve une source, on a fait Nobody. Et ce spectacle, c’était un peu comme une synthèse : l’école, le lieu, la direction du Printemps. C’est une belle histoire parce que, pour moi, le théâtre c’est ça : une histoire humaine, avec des gens qui nous suivent.
Je crois qu’il y a deux façons de promouvoir l’art : accompagner des projets ou accompagner des artistes. Jean ne fait pas partie de ceux qui sont dans la mode : il accompagne un artiste dans ses moments de chute comme dans ses moments d’envol. Le Printemps, pour moi, c’est un nid.

Venons-en à La Mouette. Ceux qui ont eu la chance de voir le spectacle qui, covid oblige, a été très peu montré, parlent d’une Mouette « ensoleillée » et, curieusement, évoquent l’univers de Pagnol ? On est loin de l’automne russe, non ?

D’une certaine manière, Pagnol, c’est le Tchekhov russe. Je crois que, tout simplement, ce sont des artistes qui s’intéressent aux gens. Aux gens ordinaires qui peuvent vivre des histoires extraordinaires, des histoires d’amour déçues, des secrets de famille. La force, elle est là-dedans. Je suis quelqu’un du sud, un Provençal pure souche, au cœur des questions pagnolesques. Tchekhov, c’est un Russe plutôt méditerranéen. Et je me dis qu’il y a une part de mon histoire qui vient s’engouffrer dans cette œuvre.
Quant à « ensoleillée », c’est, probablement, parce que j’essaye d’éclairer une œuvre avec énormément d’affection, de douceur aussi. Ce sont des thèmes qui me touchent. Je ne sais pas si La Mouette est une comédie, une tragédie, un drame bourgeois : je n’ai pas envie de la « genrer ». Ce sont des histoires de vie qu’on a tous connues, qu’on connait encore et qu’on a envie de raconter avec des très belles phrases. Tchekhov les raconte avec énormément d’amitié pour les hommes.

Matériellement, comment s’est passée cette création prise entre les vagues successives de covid ?

Évidemment, c’est très compliqué. Le théâtre est l’un des arts les plus touchés par la crise. Qui n’est pas que sanitaire : c’est une crise existentielle, philosophique, économique, politique. C’est très éprouvant parce que ce sont des prises de risque qui sont considérables. Heureusement, nous avons été très bien accompagnés, notamment par la scène nationale d’Annecy qui est un autre berceau pour mon travail. La grande difficulté pour nous aujourd’hui, c’est de focaliser le théâtre sur le seul moment de la représentation. Mais le théâtre, ce n’est pas que la représentation. Il est défini aussi par l’élaboration, la recherche, l’écriture, le temps. Ce que je veux dire, c’est ceci : ce n’est pas parce qu’on ne pouvait pas jouer qu’on ne pouvait pas faire du théâtre. C’est ce moment qui a été très important à défendre, parce que c’est aussi un moment riche. Il nous a appris, nous apprend encore à être de plus en plus stoïcien.
En septembre, on a pu se remettre à répéter alors qu’avant on n’en avait pas le droit. Progressivement on retrouve une mécanique mais je pense qu’il y a à faire une forme de rééducation tant du public que des artistes : il faut reprendre le temps de se retrouver.

Donc retrouvailles autour de La Mouette dont on dit aussi qu’elle est pour vous une œuvre de la maturité ? Vous le ressentez de cette façon ?

Je vieillis (rire)... 46 ans, c’est pas mal si je gagne un peu en maturité. Disons qu’à mesure qu’on avance, on essaie d’aller à l’épure des choses, à l’essentiel, d’être le plus proche de soi : on ne cherche pas à plaire mais à être. Et puis je m’attaque à un texte qui vous oblige aussi à grandir. La Mouette fait partie des Parthénon de la littérature théâtrale : on ne peut pas se contenter d’en avoir une vague idée. Tchekhov avait une philosophie de la vie qui était extrêmement belle : c’est cet homme, qui était aussi médecin, qui m’intéresse. Avant d’aller chercher La Mouette, il faut aller à la rencontre de son auteur. Et aller encore un peu plus loin : rencontrer l’homme. Et oui, ça demande de la maturité.

Vous passez indifféremment du théâtre à des adaptations de films. Après cette Mouette, grand texte comme vous le dites, quelle est l’étape suivante ? Film à nouveau, théâtre encore ?

Toucher à un texte comme La Mouette, c’est extraordinaire. Il y a une forme d’universalité, d’a-temporalité. D’un autre côté, les scénarios de cinéma, c’est aussi une forme d’immédiateté qui est intéressante. Je pense qu’il faut jouer sur les deux, trouver un équilibre. Alors les projets, ce pourrait être de retravailler sur un Tchekhov mais j’ai aussi des envies de scénarios à adapter au plateau. Ça coexiste. Je ne sais pas encore de quel côté mon cœur balancera.

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Propos recueillis par Jacky Vilacèque.

Cyril Teste
Metteur en scène

Cyril Teste s’intéresse aux arts plastiques avant de se consacrer au théâtre. Désireux de mettre en scène, il impulse en 2000 le Collectif MxM, noyau créatif d’artistes et techniciens dont il devient directeur artistique. Avec la peinture et le théâtre pour compagnons, Cyril Teste pose sur la scène un regard d’auteur, plasticien et vidéaste. Il y forge une écriture sensible qui, autour du texte contemporain et de l’acteur, interroge la grammaire théâtrale en y injectant l’image et les nouvelles technologies. Trois textes de Patrick Bouvet sont ainsi créés au Festival d’Avignon 2004. Il fait ensuite la rencontre déterminante de l’écriture de Falk Richter. S’en suit en 2013 la création de Nobody, performance filmique où tournage, montage, étalonnage et mixage se font en temps réel sous le regard du public. Suivra ensuite Festen. Pendant la saison 2018-2019, il met en scène son premier opéra, Hamlet d’Ambroise Thomas à l’Opéra comique, puis revient au théâtre avec Isabelle Adjani mise en scène dans Opening Night d’après le scénario de John Cassavetes.