Isabelle Lafon, d'où vient l'idée de votre projet Les Imprudents ?

Elle vient d'Eric Bart, conseiller artistique du Printemps des Comédiens, qui, il y a deux ans, m'a parlé d'un dialogue entre Marguerite Duras et Jean-Luc Godard. Je l'ai lu et j'ai trouvé que c'était une Duras qu'on connaissait bien. Elle était déjà connue, leur dialogue était intelligent mais, selon moi, ils ne se parlaient pas vraiment. J'ai voulu partir à la recherche d'une autre Duras, j'ai fouillé et me suis aperçue que, toute sa vie, en particulier dans les années 60, elle a interviewé énormément de gens.

Elle a réalisé, pour une émission télévisuelle, Dim Dam Dom, dédiée aux femmes un dimanche par mois, des sujets, - ce qui était assez gonflé car c'était plutôt une émission du côté du gouvernement, donc de De Gaulle, mais Duras acceptait tout, dans le bon sens du terme - dans lesquels elle interviewait aussi bien une directrice de prison qu'un milliardaire ou une strip-teaseuse, des enfants bien sûr... Et sa façon de poser des questions était extraordinaire ! C'était comme si, chez elle, la parole dite et la parole écrite se mélangeaient en permanence.

En cherchant, je me suis aussi aperçue qu'elle est allée – et ça, personne ne le sait – dans une bibliothèque du Nord lire des poèmes à des mineurs et femmes de mineurs. Et ensuite, elle leur parlait.

Toute cette matière, cette Duras qu'on ne connaît pas, cette inlassable questionneuse de tous milieux, mais sans jamais, jamais lâcher sa pensée, c'est passionnant !

Enfin, il y a un groupe politique dont elle faisait partie, le groupe de la rue Saint-Benoît, des ex du PC qui allaient chez elle, discutaient, faisaient à manger, je me suis dit, si on faisait un film ? J'aime toujours d'abord penser cinéma. Quid du film ? Dans ce cas, ne serait-ce pas intéressant d'aller retrouver les personnes interviewées ? En adoptant cette approche, nous nous sommes rapprochés des protagonistes : la serveuse de cafétéria, le mineur, etc., ce qui nous a fait créer une forme de fiction. Et puis... Chez Duras, le chiffre clé, souvent, c'est trois. Même le couple, ce n'est pas deux (rire). Donc il y a une personne, que j'incarne, une sorte d'électron libre qui a une légère tendance à parler de tout et de rien, à déborder, à s'adresser au public, tout en écoutant beaucoup, comme Duras, qui avait toujours plein d'histoires à raconter, des histoires très concrètes, tout en ayant cette immense capacité d'écoute. C'est ce mélange de trois personnes, Johanna Korthals Altes, moi, Pierre Félix Gravière, qui va à la rencontre de Marguerite Duras et, à la fin, c'est peut-être par Margot, la jeune chienne sur le plateau, impétueuse, sensible, une Margot quoi (rire) qu'on pourra rencontrer Duras, qu'on entrera dans sa maison.

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Propos recueillis par Mélanie Drouère, 9 juin 2021, Montpellier.

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