Warmup 2021 - 5ème édition

Connaissiez-vous le Printemps des Comédiens avant la programmation de votre étape de création dans le cadre de Warmup, cet automne?

Oui, nous le connaissions mais nous n’avons jamais eu l’occasion d’y aller. En revanche, nous ne connaissions pas Warmup. Mais nous suivons certains artistes aimés du Printemps, comme Cyril Teste et le collectif MxM, ou Julien Gosselin... Warmup, nous en avons juste entendu parler par Katia Ferrera qui y a été programmée avant de faire son spectacle autour de Virgin Suicides.

Pouvez-vous nous parler du projet que vous allez présenter dans le cadre de Warmup?

Le titre du projet Qu’il fait beau cela vous suffit est tiré d’un poème d’Aragon. Notre spectacle traite des réseaux d’éducation prioritaire ; c’est une fiction tirée d’une collecte de paroles qui a duré plus de deux ans, à la fois dans un collège en Seine-Saint-Denis, département le plus emblématique de la REP, et dans un collège dans le département du Cher, à Bourges, où est implantée notre compagnie, afin d’observer deux territoires très différents. Parallèlement, près de 50 personnes - professeurs ou tous corps de métier liés à l’enseignement, équipes de direction, personnel d’entretien, députés siégeant en commission des affaires culturelles et de l’éducation, conseillers RH, inspecteurs, celles et ceux qui œuvrent au sein des réseaux d’éducation prioritaire ont apporté leurs témoignages. Nous inspirant de méthodes sociologiques, nous avons créé un questionnaire identique, similaire à ceux utilisés par le sociologue Bernard Lahire. Chaque personne rencontrée répondait ainsi au même questionnaire qui abordait notamment leurs provenances sociales, mais aussi des questions plus personnelles - ce qui peut les mettre hors d’eux ou au contraire les remplit de joie dans le cadre de leur travail - ce qui nous fait sortir de la sociologie pour donner matière à tendre vers la fiction, et à la nourrir.

Y a t-il des choses qui vous ont surprises dans leurs réponses ?

Même si nous avons un point de vue politique assez aiguisé sur la question, ce qui nous a surprises, c’est un sentiment commun d’impuissance face à une misère sociale si grandissante.

Oui, nous nous attendions à la rencontrer, mais nous n’envisagions pas qu’il y aurait tant de situations, tant de cas... Que ce soit si général, comme un état, une situation de crise !

La crise sanitaire a certes eu un impact très lourd sur la scolarité, en particulier chez les plus pauvres. Mais en fait, tu te rends compte que, pour ces gamins, tout est déjà crise, la crise n’est pas seulement à l’école, ou sanitaire : le boulot de leur parents est en crise, leur famille est en crise, leur logement est en crise...

Et, ce qui est frappant, par ailleurs, c’est que les enseignants ont tous, quelles que soient leurs affinités politiques, une énorme défiance envers leur Ministère. Devant notre question de ce qui fait l’impossible réduction des inégalités sociales en milieu scolaire - ce qui est loin d’être un secret : cet échec des zones d’éducation prioritaire, c’est écrit noir sur blanc sur le site Internet du Ministère -, ils étaient très libres dans la parole, puisque nous leur garantissions l’anonymat.

Quel est l’état d’avancement de votre projet ?

Nous sommes vraiment en début de travail, nous avons fait une seule résidence avec nos comédiens, et nous allons faire la seconde avec le Printemps des Comédiens pour Warmup. Nous avons déjà partagé une certaine matière avec les comédiens avant la première résidence en avril, parce qu’il faut qu’ils sachent ce dont ils parlent pour être justes au plateau, puis, pendant une semaine, nous avons élaboré une trame à partir de laquelle ils improvisaient. Notre intention, à terme, est qu’il y ait des enfants avec nous au plateau. Néanmoins, précisons que nous faisons du théâtre documenté, et non documentaire.
Juste avant Warmup, pendant la résidence, nous aurons vraisemblablement une version quasi-définitive du texte et pourrons donc présenter un extrait de la pièce pour Warmup, d’une quinzaine de minutes.

Quel est l’enjeu pour vous de montrer ce travail en cours ?

Il y a deux enjeux pour nous. En réalité, nous avons eu d’abord peur de dire oui, peur que ce soit prématuré de montrer quoique ce soit, car notre première n’est datée qu’en janvier 2023 et, finalement, c’est quand même difficile de décliner une opportunité pareille. Cela va nous permettre de voir, en l’état, comment ça interroge les spectateurs. Notre autre enjeu est de présenter cette première étape aux professionnels, d’autant que nous sortons, comme bon nombre d’artistes, d’une quantité de rendez-vous manqués.

Pour notre spectacle précédent, nous avions présenté une étape à la Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon ; nous appréhendions beaucoup ce moment qui, au final, a été fondamental dans notre travail, au sens où nous avons vraiment pris en compte les impressions des spectateurs, que tous ont pris le temps de nous expliquer soigneusement dans un échange très généreux. Nous avons hâte de discuter avec le groupe Beauregard. Et puis, ça donne envie aux gens de suivre le travail, ça a été le cas avec certains spectateurs de la Chartreuse.

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Propos recueillis par Mélanie Drouère, 12 août 2021.

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